+ 1 (707) 877-4321
+ 33 977-198-888

Journal d'un TELien (28)


Journal d’un TELien (28)

Mercredi 5 mai 2004.

J’ai eu beau me secouer les petites cellules mémorielles, aucune souvenance de la dame. Et pourtant, si elle n’a pas hésité à traverser la rue pour me saluer, c’est que nous nous étions déjà rencontrés. Où ? Quand ? Dans quelle circonstance ? Je n’ai pas eu assez de mots pour m’excuser… " Mais si, voyons ! Je vous ai acheté une œuvre, pour les quinze ans de ma fille… il est vrai qu’elle va sur ses quarante ans… " Bon ! Le mal n’était pas si grand.

Et nous avons piétiné le bateau donnant accès à la Caisse d’Épargne, tout en discutant. Certaines rencontres vous retrempent allègrement dans les affairements des débuts… Mon acheteuse de jadis m’a rappelé ce dans quoi je me commettais lorsque je n’usais point encore la bille de mes stylos sur le Bristol. Pouvait-on nommer cela " sculptures " ? Maintenant, oui, je me souvenais…!

Comme cette éclipse de lune peinte sur un épais panneau d’aggloméré, visible (l’éclipse) au travers du feuillage d’une véritable branche d’arbre que j’avais fixé sur le bois. Le premier jour de l’exposition, le feuillage était verdoyant et dense ; le dernier jour, il ne restait que les branches.

Comme cette cage à oiseau emprisonnant mon sabot gauche, auquel j’avais collé deux ailes en vrai duvet d’oie ; une corde miniature de pendu pendouillait au milieu de la cage, et se miroitait dans un bout de miroir. Lorsque le visiteur regardait par la boucle de la corde, il apercevait son propre cou pris au nœud coulant. À l’exception du morceau de miroir, tout le reste était blanc, d’un blanc rayé ici ou là de quelques ombres naturelles…

Cette seconde œuvre, la Dame l’avait offerte à sa fille. Et c’était au travers du prisme de ce genre de créations que je m’étais vu déjà artiste, fortune faite, vite et bien, ni une ni deux, allez hop ! Ben quoi ? Il suffisait que je laisse aller mon délire, que je bricole un peu… pas besoin d’emballer ni de peser : sur la vingtaine de créations du même accabit, j’en avais vendu une bonne moitié ; certes à petits prix, mais à ce train-là, ma cote allait grimper toute seule.

Or c’était sans compter sur l’esprit de discernement populaire, et ma rencontre à venir avec mes stylos. Comme quoi, rien n’est écrit ! Si ce n’est le hasard de cette rencontre matinale avec la Dame, qui me renvoyait sournoisement vers certaines folies.

Jeudi 6 mai 2004.

Je ne suis pas habitué à la réflexion, à l’introspection. J’agis le plus souvent comme ça, par impulsion, une espèce de nécessité irrépressible, sans toujours mesurer les motivations, les conséquences ou la portée de mes actes. Je " fais " donc selon mes désirs, mes appétences, voire mes lubies. Parfois, je suis contraint d’agir selon ce que mes responsabilités de " bon père de famille " et mes obligations d’homme et de citoyen me commandent… mais là, il s’agit d’une autre histoire.

Se développe en ce moment sur le Forum une discussion sur la double interrogation, qui m’était jusqu’à ce jour étrangère : Qu’est-ce que créer ? Quel est le rôle de l’artiste ? Franchement non, je n’avais encore jamais songé à me pencher sur ces questions que d’aucuns pensent de fond : définir les notions de création artistique et de fonction de l’artiste. Je ne puis être d’une quelconque utilité dans cette recherche définitionnelle…

… Mais j’ai toujours pensé (une pensée latente, non réfléchie, puis-je dire : innée ?) que créer était synonyme de donner naissance à une " réalisation inédite ", sans pour autant m’intéresser à des lois et critères régissant l’accomplissement de l’acte. Autrement dit, et sans m’appuyer sur une dialectique ou une philosophie que je ne possède pas, je me figurais être un créateur du seul fait que les visions de mon petit esprit se concrétisaient par le truchement de mes mains. Il me suffisait d’empoigner mes outils et de laisser courir l’enthousiasme et l’idée pour me croire un créateur, plus ou moins habile, peu ou prou captivant, mais passionné. Or voici que circulent de nouvelles idées - nouvelles pour ce qui me concerne – telles que d’une part la dé-couverte d’une œuvre (dans le sens de l’invention d’un trésor, dixit G.), et d’autre part l’œuvre née ex nihilo (œuvre créée à partir de rien, dixit Y.). Quelle révélation ! Ainsi je serai un " faiseur " et non un " créateur " ? Car si je n’ai fait que découvrir les quelques choses qu’un être suprême avait eu le malin plaisir à dissimuler à ma première vue, il ne me reste que la sensation d’être un pêcheur de perles, fut-ce par métier ou passion. Car si je n’ai su ou pu ou voulu n’en passer que par des références plus ou moins conscientes, des repères plus ou moins recherchés, où se situe ma réelle et personnelle inspiration et responsabilité dans mon travail pictural ?

Je n’avais pas l’orgueil de me croire ou me vouloir un artiste-créateur. Mais créer signifiait pour moi exister, avoir une réalité en dehors de toute contrainte physiologique, matérielle, sociale et civile ; posséder en moi une capacité à vivre par moi-même, en autarcie intellectuelle, un pouvoir d’imagination à n’user qu’envers moi-même ; une volonté chez moi de ne pas me satisfaire de l’ordre des choses. Si je ne suis qu’un " découvreur ", ou encore un " plagiaire ", alors je ne fais que " faire " ; et bien que simplement faire ne soit dégradant en soi, je redeviens un être putrescible, commun, assujetti. Bon ! Après tout, n’est-ce pas ce que je suis ?

Et puis voici que j’apprends que l’artiste a (aurait) un rôle à jouer, à tenir dans la société et auprès de ses congénères. Cette fonction, se l’arroge-t-il par destinée ou honneur fat ? Ce rôle, le lui accorde-t-on par besoin de fou du roi, de poil à gratter, d’intelligence supérieure, de catalyseur des sensibilités, d’aiguillon tout-puissant des esthétismes ?

J’ai toujours cru qu’en peignant, je soignais mes humeurs personnelles tout en cultivant ma propre personnalité, sans intention de nuire ou de plaire à autrui. J’ai cru toujours que mon seul objectif était de fouiller mon (mes) univers d’imagerie mentale, de m’appliquer à en faire le tour, et de n’avoir d’autre intention que celle d’animer la toile. Les sous-entendus, les arrières-pensées, les démonstrations, les évidences, les interprétations ne valent que pour moi. Audacieuse ou timorée, enlevée ou fastidieuse, innovante ou conventionnelle, parlante ou rabâcheuse, ma peinture n’a de compte à rendre qu’à moi-même. Elle n’est pas une donneuse de leçon, pas l’illustration parfaite d’une quelconque notion de beauté, pas le langage d’une culture, pas le reflet de la pensée… si elle l’était, ce ne serait que le fruit du hasard, ou d’une autorité extérieure usurpante.

Et s’il se fait qu’elle tombe en d’autres mains et sous d’autres yeux, elle devient une possible marchandise ou un ramasse poussière ; mais elle n’est guère par essence objet de culte, règle de l’art, rhétorique Beaux-Artiennes, machine à faire penser, exutoire par où s’épancheraient les idées, référence éducative, lien social ou culturel, parole d’évangile, etc., etc.

J’ai cru longtemps que mon travail pictural n’était qu’une succession de billets du jour que je m’adressais… et non un message syncopé à l’intention d’une société en attente de repères. Mais les copains ne sont pas charitables, ces temps-ci ; ne viennent-ils pas de remettre en question d’un coup, d’un seul, mes petites certitudes ? Ne viennent-ils pas par interrogations et définitions interposées de bouleverser mon petit for intérieur ? Je m’étais supposé l’architecte de ma tour d’ivoire, quand je serais maçon pour le compte d’un chantier public… ?

 

ecrire
Ecrire une réponse dans le forum

 

Ecrivez votre impression
dans le livre des invités
de Dominique Boucher

 




Стили: Произведение Искусства : Surréalisme - Образная - Образный - Реализм - Символизм - Сюрреализм - Фигуратиф
Техника: Произведение Искусства : Гуаша